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Le blog de petits-pas-de-fourmi

Rien

9 Avril 2024 , Rédigé par petits-pas-de-fourmi

Rien
Au début la frénésie du rangement a monopolisé tout son temps. Il
fallait mettre ce confinement à profit pour effectuer toutes les tâches
remises à plus tard. Ah, se retrouver dans une maison où chaque chose avait
sa place ! Elle a même repeint les plafonds, tâche remise à plus tard depuis
des lunes. Le beau temps l’a encouragée à s’occuper du jardin. Puis elle
s’est mise à la cuisine, a concocté de bons petits plats, enfourné de
magnifiques gâteaux, régalé la cantonade de caramels maisons au beurre
salé. Le congélateur est plein maintenant. Et elle a pris deux kilos.
Alors aujourd’hui elle s’accorde une journée de repos, sans aucun but.
Une petite voix lui suggère bien de coudre des masques pour le voisinage,
de terminer enfin la demi-douzaine de pulls provisoirement entreposés dans
un panier sous l’escalier. Elle va s’ennuyer, toute une journée sans rien
faire. S’ennuyer à mourir !
« Tais-toi » dit-elle, réussissant à maîtriser cette voix quelques
instants. De la journée, elle ne veut rien faire. Aucun enjeu, aucun objectif.
Elle goûte le vide, savoure le néant. Elle découvre l’immensité qui habite
son for intérieur, la liberté.
Le simple fait de se laver devient une partie de plaisir. Elle frotte
longuement le savon entre ses paumes jusqu’à le transformer en une crème
douce et légère, retrouvant la sensualité de son enfance quand sa grand-
mère la lavait dans un baquet au milieu de la cuisine. Intact le souvenir du
plaisir qu'elle éprouvait alors en sentant ces mains à la fois rudes et
aimantes savonner son corps. Ce mélange d’énergie et de douceur avait
pour elle la saveur de l’amour.
Oui, elle prend le temps de redécouvrir le simple délice du tendre
effleurement. En un temps où il ne faut même pas se frôler, où il faudra
réinventer le « contact » social, elle part à la découverte de son propre
corps. Elle regarde son image dans le miroir et lit dans ses yeux l’enfant qui
vit en elle, curieux, coquin, rebelle aussi, transgressif même parfois. Lui
laisse-t-elle assez de place ?
Assise dans le salon, elle savoure un verre d’eau, prend conscience de
chaque gorgée. Dans sa tête libérée de la cacophonie mentale, un cosmos
s’est dévoilé. Elle découvre un monde parfait, un monde libre. Une source
de joie. Elle prend juste plaisir à être. Pas être quelqu’un, ou être suivi d’un
qualificatif : gentille, courageuse, appliquée. Non, juste être là, présente à la
vie. La jouissance qu’elle en tire est d’une pureté, d’une qualité à nulle
autre pareille. Ses sens semblent exacerbés : l’air qui entre par ses narines
c’est la vie. Alors elle se concentre sur l’inspiration, sur l’expiration, encore
et encore.
Lentement, elle parcourt le jardin, son ouïe, son odorat, purifiés par
son calme sourire intérieur ont pris de l’ampleur. Les aromes exhalés par la
floraison printanière sont enivrants, les gazouillis des mésanges, les
sifflements mélodieux des merles se mêlent aux trilles des rouges-gorges et
aux roucoulades des tourterelles. Elle se surprend à sourire en s’asseyant
sur le banc dans la haie. Le vieux chat la rejoint et se love contre elle,
ronronnant de plaisir. Elle le caresse en se concentrant sur les sensations de
sa main sur le pelage, sur la tiédeur de son flanc. Intérieurement elle ressent
une grande joie, un calme bienfaisant. Lentement, elle ferme les yeux pour
mieux écouter le concert, puis elle les rouvre petit à petit pour jouir des
fleurs dont les couleurs chantent sous le soleil. Elle referme les yeux et
tente de différencier les senteurs : l’aubépine et le troène rivalisent avec la
menthe qu’elle vient de piétiner. Déjà le lilas déploie ses grappes mauves.
Elle enlève ses chaussures et goûte sous ses pieds la fraîcheur de l’herbe et
sa douceur. Elle goûte, goûte, goûte. Et se met à danser, à tournoyer en
chantant de plus en plus fort, puis, hors d’haleine se laisse choir dans
l’herbe, bras et jambes écartés. Elle reste là, immobile, concentrée sur ce
qu’elle ressent. Le ciel est bleu, pas un nuage ne l’habite, un petit vent
souffle doucement. Jouissance de sa caresse sur la peau.
Elle ne peut dire combien de temps s’est écoulé. Le moment est si
magique qu’elle se sent en lien avec l’éternité. Dire qu’il en faut si peu pour
son bonheur. Consacrer tout son temps de vie au seul travail, rendre chaque
minute productive, certes cela la rend admirable aux yeux de tous. Mais
l’admiration est aussi une prison. Jamais elle ne ressent cette joie intérieure
lorsqu’elle lutte contre la montre dans son quotidien frénétique.
Elle se promet de renouveler l’expérience et de planifier un « jour de
rien » régulièrement dans son agenda. De ralentir aussi son rythme pour
profiter de chaque instant. Même pendant ses tâches quotidiennes. Si le
confinement a servi à ça, merci le confinement. Qu’allait apporter la «
mascarade » à venir ? Elle en craignait certains aspects cocasses ou même
grotesques mais elle espérait pouvoir trouver la paix intérieure dans toutes
les situations que la vie lui présenterait.

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C
Superbe !
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